Je vous propose de changer momentanément de "musique"...
C'est Z-clebs qui m'a signalé le blog intitulé Pierres Vivantes de Roger Dachez dont j'ignorais l'existence, où vous trouverez la source de la citation qui suit:
Dès le mois de juillet 1932, Guénon y signale ainsi un article « sur les changements apportés au rituel par la maçonnerie moderne », tandis qu’en décembre de la même année, il relève qu’un autre article de la même revue « envisage les rapports de la maçonnerie opérative et de la maçonnerie spéculative d’une façon en quelque sorte inverse de l’opinion courante. » Jusqu’en 1950, les citations et les commentaires d’articles publiés dans The Speculative Mason vont se succéder sans trêve sous la plume de Guénon.
Dans ces comptes rendus apparaissent tous les thèmes, toutes les affirmations, toutes les légendes, toutes les caractéristiques rituelles du système de Stretton. Guénon, au demeurant, cite à peine le nom de Stretton. Il ne parle que de la « maçonnerie opérative », comme s’il avait purement et simplement admis le récit de Stretton sans l’ombre d’une nuance, comme si la Worshipful Society était à ses yeux l’héritière incontestable de la maçonnerie médiévale, comme si ses rituels nous donnaient effectivement un fidèle témoignage de ceux dont faisaient usage, en leur temps, les bâtisseurs de cathédrales !
L’esprit critique de Guénon, si souvent en alerte et volontiers si caustique, semble avoir été ici annihilé. Seul un scrupule semble l’effleurer dans l’un de ses premiers comptes rendus relatifs à la revue de Miss Bothwell-Gosse, qu’il semble alors découvrir, en décembre 1932 : « Pourquoi, notamment, s’inquiète-t-il, prendre au sérieux les fantaisies “égyptologiques” du Dr Churchward ? ».
Hélas, cette intuition fugitive était la bonne, et le patronage jadis accordé au système de Stretton par le très pittoresque John Yarker – en fait le véritable auteur des rituels “opératifs” – ne valait guère mieux que celui de Churchward et aurait dû renforcer sa suspicion. Il n’en fut rien, sans doute parce que Guénon avait découvert dans cette incroyable affaire une vérité qui s’accordait trop bien à ses propres conceptions. [5]
Le travail de Bernard Dat, cité plus haut, est cependant sans réplique. Le système maçonnique propagé – sans grand succès, du reste – par Clément Stretton était manifestement une pure invention de sa part, avec le large et généreux concours de John Yarker dont l’ingéniosité et l’imagination, en ce domaine, étaient sans borne.
Les conclusions de Dat sont accablantes : tout ce que nous connaissons du système de Stretton n’a pour source que ses propres déclarations, il n’y a aucune preuve documentaire, il n’y aucun lien direct établi avec les diverses sociétés opératives qui ont effectivement existé bien avant le XVIIème siècle et qui existent encore, l’exemple le plus connu étant celui des Livery Companies de Londres ; tous les documents cités par Stretton pour confirmer sa thèse, en particulier les Old Charges, n’ont aucun rapport historique direct avec celle-ci ; aucune preuve, aucun nom vérifiable de participants ne sont donnés quant aux réceptions de Stretton lui-même dans les différents degrés de son système; enfin, le système de Stretton comporte des incohérences internes criantes et des anachronismes graves qui lui interdisent absolument de revendiquer une origine antérieure au XIXème siècle : c'est du reste ce qu'affirment sans ambiguïté les responsables actuels des Operatives, toujours en activité en Angleterre, lesquels rappellent qu'ils ne revendiquent aucune filiation directe et "ininterrompue" avec les maçons opératifs et ne forment qu'une société "commémorative"…
Pourtant, lorsqu’en 1938 Guénon affirmait comme « un fait » qu’il avait existé des loges opératives « avant et même après 1717 », ou quand il laissait entendre contre Lantoine, en 1947, « qu’il y a bien des raisons de douter » que dès la fin XVIIe siècle la maçonnerie opérative était réduite à presque rien en Angleterre, il est absolument certain que c’est sur les écrits de Stretton, parvenus jusqu’à lui grâce au Speculative Mason, qu’il se fondait.
Force nous est d’admettre que la seule fois où Guénon s’est écarté des thèses de l’historiographie maçonnique “universitaire” de son époque, dont il partageait finalement les conclusions, ce fut pour solliciter une source fallacieuse : ce fut son “erreur opérative”.
Tout commentaire me parait superflu : ce n'était pas la première ni la dernière fois que Guénon a gobé des choses qui s'accordaient trop à ses attentes souvent occultistes"... Le Roi du monde et l'Agartha à la sauce Ossendowski/Saint Yves par exemple...